Nous partageons un témoignage d'un professeur de lettres et histoire-géographie d'un lycée professionnel havrais sur la situation dans ce type d'établissement en cette fin d'année.
Lorsque j’ai commencé à enseigner en Lycée Professionnel (LP), j’ai rencontré des élèves souvent un peu cabossés par une scolarité antérieure erratique, rétif et amers. Mais ils en sortaient réconciliés avec l’école et avec un métier dans les mains, voire une poursuite d’étude en BTS pour les plus motivés ; ce qui faisait la fierté de leurs professeurs. En lettres et histoire-géographie, nous disposions d’un nombre d’heures assez conséquent pour préparer nos élèves au CAP, au BEP et au BAC PRO : 3 à 4 heures de français et 1 à 2 heures d’histoire-géographie par semaine selon les niveaux.
L’allégement horaire en LP débuta avec le choc de la réforme du bac pro en 3 ans en 2009.
Sous couvert de ne plus discriminer les élèves de la voie professionnelle en leur permettant d’accéder à un bac en 3 ans comme les élèves des filières techniques et générale, la réforme de 2009, sous la direction de Xavier Darcos, ministre de l’Éducation nationale de l’époque, supprima 25% du temps de formation au Bac Pro.
L’enfer est pavé de bonnes intentions.
En effet, l’élève de LP est l’élève du secondaire qui coûte le plus cher à la collectivité, en raison de l’équipement matériel qui peut être très onéreux, surtout dans les filières industrielles ; en raison aussi de l’enseignement qui est obligatoirement en petits effectifs lorsqu’il y a utilisation de machines dangereuses. Un quart de temps de formation en moins, c’est moins d’élèves et moins d’enseignants en LP donc des économies d’échelles conséquentes.
Fraîchement promu ministre de l’Éducation nationale en 2017, Jean Michel Blanquer s’empressa de promettre qu’il ne serait pas le ministre d’une « énième réforme », celle du collège en 2016 ayant beaucoup irrité le monde enseignant.
C’est pourquoi il n’imposa pas d’énième réforme au LP mais annonça plutôt une « Transformation de la Voie Processionnelle » alias TVP en 2018. Ça changeait tout. OU pas.
En effet, comme dans la réforme précédente de 2009, il était question de mettre fin à une odieuse discrimination qui frappait les élèves de LP : ils travaillaient trop par rapport à leurs homologues de Lycée Techniques et Généraux, donc il fallait leur alléger le temps de travail hebdomadaire par mesure d’équité.
Il faut savoir que dans la voie professionnelle, le contrat tacite à toujours été pour nos élèves : moins de travail à la maison et plus d’atelier. Ainsi, dans les années 1950, les élèves de CAP avaient 45 heures de cours par semaine donc 24 heures d’atelier et 6 heures de sports.
Avant 2017, l’horaire hebdomadaire avoisinait les 35 heures de cours par semaines en CAP et Bac Pro. La TVP les rabota à 30 heures par semaine et, à peu près 15% de temps de formation globale en moins.
D’un point de vue strictement disciplinaire, cette érosion horaire fut pire encore car Jean Michel Blanquer instaura des heures de chef d’œuvre et de co-intervention prises sur les autres disciplines. La co-intervention permet à 2 enseignants de matières distinctes, l’un en professionnel et l’autre en français ou mathématiques, de croiser leurs référentiels de compétences pour les travailler en commun avec les élèves. Cette co-intervention peut certes avoir du sens en vente et français (communication), ou mathématiques et construction (trigonométrie), mais elle s’avère loufoque dans de nombreuses filières où les collègues se remuent les méninges en vain pour se trouver des compétences communes à travailler.
Bref, c’est du temps gâché au détriment des heures disciplinaires.
Au bout du compte, concernant mes disciplines il restait en théorie 3h30 de cours hebdomadaire dont une demi-heure obligatoirement dévolue à l’enseignement moral et civique à la rentrée 2019, ce qui nous laissait 1H30 en français et 1h30 en histoire/géographie.
Ça a de quoi sidérer : 1h30 de cours de français par semaine pendant 3 ans, pour préparer des élèves qui cumulent les difficultés au diplôme du baccalauréat… mais il faut croire que c’était encore de trop puisque le président de la république, Emmanuel Macron, annonça lui-même un projet de nouvelle réforme du lycée professionnel en 2022 et détailla ladite réforme en 2023 avec mise en place dès l’année scolaire 2023-2024, dans une précipitation de mauvaise augure.
Cette nouvelle réforme vise évidemment « le bien des élèves » comme toutes les précédentes, éléments de langage récurrent chaque fois qu’une vilenie se prépare.
Que prévoit entre autres la réforme d’Emmanuel Macron ?
D’abord d’augmenter les périodes de stage en entreprise des élèves de 50 %, en diminuant donc leur présence en cours et cerise sur le gâteau, d’avancer les épreuves du Bac Pro comme en lycée Général et Technique. Ce qui ne marche déjà pas en LGT, la presse s’en étant fait largement écho, appliquons-le au lycée pro !
L’idée de génie de cette énième réforme, ce n’est pas de diminuer encore les horaires hebdomadaires de cours mais de les réduire sur l’année. En effet, 1h30 de français et 1h30 d’histoire-géographie par semaine, c’est un seuil critique en deçà duquel il est difficile de descendre ; mais en diminuant le nombre de semaines de cours, on parvient encore à diminuer les heures.
Si on regarde l’histoire de la voie professionnelle depuis la création du CAP en 1919 par la loi Astier jusqu’à celle du bac pro en 1985, elle procède de la volonté de l’état d’offrir aux élèves de LP en sus de la formation professionnelle une formation humaniste et une culture générale qui leur permettent de devenir non seulement des travailleurs qualifiés mais aussi des citoyens éclairés.
En réduisant drastiquement le volume consacré à l’enseignement de cette culture générale, la TVP de 2018 et la réforme de 2023 vont à rebours de ce projet républicain d’éducation populaire. Il s’agit d’un retour au XIXème siècle, lorsque les écoles professionnelles des entreprises se contentaient de former les jeunes en adéquation avec leurs besoins : des gestes professionnels et un minimum de culture générale pour qu’ils comprennent ce qu’on attend d’eux. Pas plus.
Par ailleurs Emmanuel Macron et ses ministres ne cessent de faire la promotion de l’apprentissage au détriment de la formation initiale assurée en LP. Or, l’apprentissage réduit encore plus le temps consacré à la formation générale en augmentant le temps passé en entreprise.
Ainsi, c’est non seulement le lycée professionnel comme lieu et modèle de formation qui est miné par les réformes successives depuis 2009, mais, plus grave encore, c’est la qualité de la formation d’un tiers des élèves de France, souvent les plus modestes, qui est considérablement dégradée ».
Tiré de « l’Ex plus beau métier du monde » de William Lafleur
On pourrait ajouter aussi l’apparition des 14 familles des métiers qui propose une seconde un peu « générale » afin que l’élève affine son projet avant de se positionner en 1ère Bac Pro pour tel ou tel Bac.
Un Bac Pro en 2 ans et demi…
Emmanuel