À compter de la rentrée prochaine, les collégiens de sixième et cinquième seront répartis en trois groupes de niveau pour les enseignements de français et mathématiques.
Cette décision, loin d’être progressiste, est celle du « tri social ». Nous savons que bon nombre de nos élèves se retrouveront stigmatisés par ce « tri » sélectif. Les élèves les plus fragiles seront voués à rester entre eux dans une forme de « ségrégation » intellectuelle, avec le sentiment d’être simplement exclus et mis à part car « trop faibles ». Depuis des années maintenant, les spécialistes de l’éducation, pédagogues et chercheurs, s’accordent à dire que les groupes de niveau fragilisent la confiance et l’ambition des élèves les plus en difficulté, allant à l’encontre du résultat escompté. Les élèves les plus avancés, quant à eux, se retrouveront dans des groupes comportant un nombre important d’élèves et ne pourront bénéficier d’une aide systématique de l’enseignant quand cela sera nécessaire.
Qu’en sera-t-il de l’émulation créée par les groupes classes hétérogènes qui permettent aux élèves les plus en difficulté de travailler avec des camarades dont les acquis sont plus solides, en favorisant la progression et l’entraide entre pairs ?
Qu’en sera-t-il du rôle de l’école républicaine d’être un creuset d’intégration et de rencontre entre des élèves de tous horizons et de toutes origines sociales ?
Qu’en sera-t-il de la fameuse bienveillance qui devait permettre à tous nos élèves de croire en eux et de se sentir valorisés au sein de l’école de la République ?
Par la mise en œuvre de cette réforme, on impose à l’école la mise en œuvre d’un déterminisme social qui pousse nos élèves les plus en difficulté, souvent de catégories sociales défavorisées, à rester en échec et sans possibilité de véritable progression, mais en leur faisant toutefois miroiter une hypothétique montée vers le groupe de niveau supérieur.

La mise en œuvre de cette réforme dégradera donc les conditions d’apprentissage des élèves ainsi que les conditions de travail du personnel enseignant puisqu’aucun moyen ni aucun texte clair ne viennent en appui. En effet, la DHG 2024 du collège J. Moulin compte deux heures de moins que celle de l’année dernière (ces heures retirées à la technologie, ne lui sont pas réattribuées, elles disparaissent !).
Pour constituer des groupes en sixième en français, il faut renoncer aux travaux de groupe en physique - chimie qui existaient jusqu’alors. Or, les groupes en sciences permettent de mener des activités essentielles à la compréhension de cette discipline, notamment par la manipulation. Comment donc enseigner les sciences sans manipuler et sans disposer de groupes ?Il faut également renoncer à la présence de professeurs des écoles spécialisés dans l’enseignement aux élèves à besoins particuliers (enseignants SEGPA) qui intervenaient auprès des élèves les plus fragiles de classe ordinaire. Les structures se cloisonnent, comment donc envisager l’inclusion d’élèves à besoins particuliers si les enseignants ne sont pas eux-mêmes inclus ?
Il faut enfin renoncer à avoir un nombre de groupes identiques en mathématiques et en français faute de moyens.

Cette année, en 5e, chaque classe bénéficie de cours d’AP en français et en mathématiques. Les classes sont dédoublées sur ces temps (environ 10 élèves par groupe) ce qui permet d’accompagner les élèves au mieux dans des activités spécifiques, impossibles à mener habituellement en classe entière (entraînement à l’oral, prise en compte des besoins spécifiques, projets, travaux de groupes...). Enseigner de cette manière ne sera plus possible puisque les groupes de niveau compteront de nombreux élèves sans possibilité de dédoublement. A ce propos, nous souhaitons faire remarquer qu’il n’est plus possible de dédoubler la classe unique de 6e-5e SEGPA en groupes 6e et 5e.

A l’heure où l’attractivité du métier est en perte de vitesse et où le recrutement est à la peine, on demande une nouvelle fois aux enseignants de mettre en œuvre une réforme tout bonnement inverse à leurs principes et aux réalités du terrain. Avec la fin des groupes classes, comment mettre en place un suivi des élèves cohérent et sérieux ? Comment les collègues de français et mathématiques pourront-ils prétendre aux missions de professeurs principaux ? Comment s’organiseront les conseils de classe ? Comment réussir à mobiliser nos élèves en grande difficulté au sein de groupes de niveau stigmatisants, alors que nous savons à quel point un groupe classe stable est souvent bien rassurant pour eux, particulièrement pour les plus jeunes et les plus fragiles ?
Qu’en sera-t-il de notre liberté pédagogique si les enseignants doivent avoir des progressions communes et des pédagogies interchangeables pour soi-disant faciliter le passage d’élèves d’un groupe à l’autre ?
Quel sens donner à la multiplication des évaluations pour permettre l’organisation des groupes de niveau, faisant des enseignants des machines à évaluer que les IA pourront à court terme aisément remplacer et qui maintiendront les élèves dans une constante pression du résultat ?
Cela laisse présager de longues heures d’organisation, de concertation et de travail administratif à la charge des professeurs, sans aucune compensation financière.

Nous, enseignants et personnels du collège Jean Moulin, sommes attachés à nos missions de service public. Nous sommes engagés dans nos missions au service de la réussite de TOUS les élèves sans aucune discrimination. C’est pourquoi nous refusons la mise en œuvre de cette réforme qui met en difficulté nos élèves et dégrade nos conditions de travail. Nous sommes attachés à un enseignement émancipateur qui permet à toutes et tous de trouver sa place dans la société, sans déterminisme et avec bienveillance. Nous refusons l’élargissement de cette réforme aux élèves de quatrième et troisième dès 2025 et sa mise en œuvre expérimentale dès la rentrée prochaine dans certains établissements.
Nous nous associons à la lettre adressée à la Ministre des Jeux Olympiques et de l’Éducation nationale par le SNPDEN qui dénonce les groupes de niveau et refuse clairement de les mettre en place. Nous n’avons pas besoin de groupes de niveau mais d’effectifs réduits et hétérogènes, ceux-là mêmes qui font leurs preuves partout où ils sont correctement mis en œuvre. Il nous faut également des recrutements de personnels pour mieux accompagner et encadrer les élèves.

Les représentants du personnel enseignant
Les représentants des parents d’élèves

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